Il était une fois un petit morceau de sucre tout de blanc vêtu, qui allait tranquillement d'un pas léger, parcourant son petit bonhomme de chemin au rythme de son sifflet.
De temps en temps, il s'arrêtait pour admirer sa structure carrée, sa blancheur qui l'émerveillait, ainsi que la lumière de ses six facettes.
Il aimait tant briller, il s'appelait dans la langue ancienne "Moi-Je" !
Marchant gaiement, il croyait que ses pas le conduisaient quelque part, sans se rendre compte qu'en réalité, c'était le chemin qui conduisait ses pas pour le faire avancer vers sa destinée. Et c'est ainsi qu'un beau jour, au détour d'une allée, il rencontra Dame Café. Elle lui paraissait aussi vaste que la Terre.
Sa robe noire était d'un noir si profond qu'elle lui rappelait la nuit des temps. Elle semblait ailleurs lorsque, soudain, elle remarqua sa présence.
- Oh toi ! lança-t-elle, qui es-tu ?
Tout ravi de l'attention qui se portait sur lui, "Moi-Je" fit la roue comme un paon pour lui dévoiler tous ses atouts et se répandit longuement dans un discours bien à lui.
Après l'avoir écouté attentivement, Dame Café lui jeta un regard grave puis se décida à lui parler ...
- Joli Petit Sucre, j'aimerais tant offrir mon arôme et ma saveur au Créateur des Mondes, mais j'ai besoin d'un peu de "sucré" pour adoucir mon amertume. Grâce à toi, ma quintessence pourrait s'alchimiser et libérer, dans mon offrande au Tout Autre, un nectar divin !
Comme il écoutait les yeux grands ouverts, elle poursuivit d'un ton doux et lui demanda :
- Petit Sucre, accepterais-tu de manger en moi pour te fondre et te dissoudre dans mes profondeurs ? Ainsi, tu libérerais en moi toute la douceur suave qui t'habite et tu transformerais tout l'arôme et le goût de ma substance. Ensemble, nous comblerions de bonheur Celui qui découvrirait nos saveurs emmêlées. Le Seigneur des Mondes boirait la chaleur de nos vies, qui certainement le réchaufferait au plus profond de lui, et les essences contenues en nos âmes lui parleraient ... Il nous dégusterait patiemment, très calmement et chaque gorgée serait pour lui, un hymne à la vie.
Tout retourné par cette demande, Petit Sucre se gratta la tête (enfin, ce qui lui servait de "tête"), fort inquiet ...
- Oui, répondit-il d'un ton anxieux, mais moi, alors, je vais disparaître dans le néant ! Que vais-je devenir après ?
Dame Café se recueillit un instant et lui dit :
- Mon Petit Sucré adoré, il est vrai que ce serait au prix de l'oubli de ton nom, "Moi-Je", que la magie de nos alliances pourrait s'opérer. Acceptes-tu de te fondre en moi, transformant ainsi tout mon goût pour le bonheur du tout autre, ou préfères-tu rester avec ton identité, tel que tu es, à côté de moi ?
Petit Sucre réfléchit longuement et son silence parut interminable à Dame Café. Peu à peu, il surprit le battement de son cœur, il s'intensifiait ... Il sentait un sentiment nouveau monter en lui et le dilater. Il réalisa alors qu'il était tombé éperdument amoureux de Dame Café. Exalté et transporté par cet amour qui l'habitait, il ferma les yeux et, prenant un élan majestueux, plongea dans les profondeurs de sa Bien-Aimée.
Et tout s'illumina autour d'eux dans un sourire de gratitude et de paix. Dame Café ne se souvenait déjà plus du nombre infini de Petits Sucres qui se sont noyés dans ses noires profondeurs.
Extrait des Contes Chamaniques, Luis Ansa
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